Évolution de la toponymie

Les historiens identifient cinq époques majeures d’évolution de la toponymie en France :

  • Le Moyen-Âge : les dénominations répondent à une logique fonctionnelle. Le nom de la voie est celui du lieu qu’elle dessert, qu’il soit religieux que civil : “place de l’Église” ou “place du Marché” par exemple ;
  • L’Ancien Régime : en rupture avec le Moyen-Âge et la dénomination fonctionnelle, les voies commencent à être personnalisées et portent alors le nom des Grands du royaume : “place Louis-le-Grand”, “rue de Condé” ;
  • La Révolution française : la débaptisation est courante et les instances révolutionnaires ne changent pas seulement des noms des rues, mais aussi de villes : la “rue de l’égalité” ou la “place de la nation” apparaissent dans la plupart des cités ;
  • L’Empire : la débaptisation s’essouffle et le phénomène s’inverse. Les “rue Saint-Antoine” ou “rue de l’Église” sont réintroduites. C’est aussi l’époque de l’apparition des noms de généraux et de victoires militaires dans les villes françaises : “rue de Wagram”, “rue Ney” ;
  • Le XXème siècle : l’éclectisme est au rendez-vous. Les rues et lieux publics prennent les noms de personnages célèbres masculins, de régions, pays ou villes (“rue de Colmar”, “avenue du Japon”, etc.) ou de thématiques diverses, par exemple liées à la nature (“allée des roses”, “rue des alouettes”, etc.).

La place des femmes

Et les femmes dans tout ça ? Peu représentées, quelques soient les époques, elles constituent aujourd’hui en France seulement 2% des noms de rues ! Cette situation n’est que le reflet de l’invisibilisation des femmes dans notre histoire collective, qui va des livres scolaires, aux musées, à l’espace public au sens large.

On comprend pourtant bien, compte-tenu de ce que les toponymes représentent, pourquoi il est important que des femmes donnent leurs noms à des rues : quand une ville décide de rendre hommage à une femme, elle atteste de son rôle dans notre histoire, notre société.

On comprend également pourquoi l’emplacement de ces rues n’est pas anodin : symboliquement, cela n’est pas la même chose de donner son nom à une petite rue d’un quartier périphérique ou à une immense place centrale de la ville.

Lorsqu’elles sont présentes dans l’espace public, les femmes subissent deux travers principaux :

  • Les femmes illustres (politiques, écrivaines, artistes, sportives, etc.) sont encore occultées par des femmes connues non pas pour leurs propres réalisations, mais parce qu’elles sont l’épouse d’un homme célèbre ou d’un propriétaire terrien du quartier, ou encore pour leur rôle de symbole religieux (comme les saintes de la religion catholique).
  • Les rares femmes remarquables qui ont réussi à s’imposer dans nos rues sont reléguées aux impasses ou petites places et ruelles de quartier, où la possibilité de voir leur nom est réduite et l’emplacement peu valorisé. Elles n’apparaissent pas dans des lieux majestueux et passants.

Schéma de répartition des noms de rues en France femmes hommes

La situation en France

Le constat est accablant : en France, d’après une enquête publiée début 2014 par l’ONG Soroptimist, seules 2% des rues portent des noms de femmes alors que 31% portent celui d’hommes.

Ce déséquilibre flagrant montre à quel point les grandes femmes de l’Histoire sont sous-représentées dans l’espace public, et donc dans la mémoire collective.

En outre, certaines personnalités féminines sont très surreprésentées, réduisant encore la part accordée aux autres : ainsi, sur les 111 communes étudiées par Soroptimist, 49 commémorent Jeanne d’Arc, tandis qu’elles ne sont que 9 à honorer Marguerite Yourcenar.

 

Source

D. Badariotti, Les noms de rues en géographie. Plaidoyer pour une recherche sur les odonymes, Les Annales de Géographie, n°625 mai-juin 2002, Éd. Armand Collin.